Au début des années 90, j'ai commencé à rencontrer Max Rouquette dont je connaissais, depuis longtemps, tout ce qui avait été publié. Il était octogénaire, l'âge qu'aurait eu mon père né lui
aussi en 1908. Ils s'étaient peut-être connus, mon père chassant à La Boissière et Rouquette à Argelliers juste avant et juste après la guerre.
J'ai commencé à publier des livres d'artistes en 1992, je lui en ai timidement parlé assez vite. La publication du livre de L'Escoutaïre en 1996 lui a fait un grand plaisir :
François Dezeuze avait été le premier à éditer dans La Campana de Magalouna ce CANTAGRIL qu'il ne connaissait pas. Max lui en gardait une dévotion réelle.
Il me fallut du temps pour le décider à me confier un texte à publier : je travaillais lentement.
Patatras ! Le premier texte qu'il me donne est une espèce d'essai — en français — sur l'origine du chant, de la danse et du poème. Inutilisable pour moi. Je lui explique, en marchant sur des œufs
(ceux qui l'ont connu, chaleureux ET cassant, voire hautain à la fois comprendront) que je désire éditer une fiction.
Trois mois après, j'ai ma fiction. Re-catastrophe. Elle est en français, et dans ce français des derniers romans de Rouquette qui me laisse, alors et encore, perplexe. Les œufs se font de plus en
plus fragiles sous mes pieds lorsque je sonne chez lui pour lui demander la version originale en occitan. Il ne sait pas où elle est, il me la retrouvera...
Le troisième texte est le bon, l'excellent, même. Ce n'est manifestement pas l'original occitan du texte précédent, mais un texte proche. De quand date-t-il ? Je soupçonne Rouquette, n'ayant pas
trouvé un texte occitan formaté à mes désirs, d'en avoir écrit un nouveau ex abrupto. Le manuscrit est écrit sur un bloc de papier à lettre Gibert Joseph, du début des années 2000. Est-il une
copie d'un texte antérieur ? J'en doute. Certes, ses 13 feuillets sont écrits au fil de la plume, presque sans ratures. Mais des négligences orthographiques nombreuses montrent que le texte n'a
pas été relu attentivement.A mon avis, le texte a été écrit pour l'édition.
Le récit contient la plupart des mythes fondateurs des proses de Vert Paradis : la chasse, Argelliers, le château de Gardies, la faune et la flore des garrigues dont la célèbre "couleuvre de
Montpellier", la nuit, la lune, la guerre, l'exil parisien...
En gros, un jeune homme, dont on sait par ailleurs qu'il est aussi joueur de tambourin, ce sport dont le tennis n'est qu'un avatar, part chasser sous la façade carrée du mas de Gardies, le
paradis terrestre de Max. Sous la pleine lune, il rencontre un serpent prodigieux, et sa vie bascule dans l'enfer souterrain du métro parisien.
Ce florilège des thèmes rouquettiens influencera profondément ma mise en scène du texte.
Comment évoquer tout ça dans ma mise en forme ?
La pleine lune et le tambourin cher à Max Rouquette, ce sera un tamis asiatique en bois de bambou de près de 30 cm de diamètre.
La couleuvre de Montpellier, ce sera un serpentde 90 cm de long, mais enroulé sur lui-même, directement importé des USA, but made in China pour la collection The World of snakes. Le cordon
ondulant qui réunit le livre à son support est une redondance de cette évocation reptilienne.
Le format d'imposition est chargé de rappeler, comme il pourra, la forme d'un ancien ticket de métro.
Pour les illustrations, Isabelle Marsala s'imposait. Elle seule pouvait affronter ce mythe vivant. Elle fit 5 illustrations dont la frontalité cache un arrière-plan capital, et dont les yeux
limpides ont toujours des airs de deux airs.
Elle virtuosa un camaïeu de gris de derrière les fagots qui sera réhaussé manuellement à l'acrylique.
Le tirage se fait, bien sûr, sur mon papier Japon Masashi Dosabiki chéri , le format du corps du livre est de 16 x 20 cm.
Le tirage annoncé est de 70 exemplaires, mais la pénurie de serpents le réduisit à une quarantaine.
C'était la première fois qu'un livre de Max Rouquette paraissait en édition pour bibliophile.
Ah ! J'oubliais. J'ai dit que j'avais embêté Max Rouquette pour avoir un texte original occitan, car pour moi, il est au dessus de tout un auteur occitan. Un immense auteur occitan, donc un
immense auteur tout court. Mais il existe, de ci, de là, quelques personnes qui ne comprennent pas cette langue. Même en France, qui ne sait même pas que SES langues existent, même dans le Midi
de la France, qui ne s'embarrasse plus de toute sa culture...
Alors, j'ai traduit en français le texte, et je l'ai rajouté, dans un petit livret à part, lové sous le corps du livre.
La présentation du livre eut lieu le dimanche 17 mars 2002, dans l'Atelier du Garage qui était l'atelier d'Isabelle Marsala (et aussi, à cette époque, de Jean-Paul Bocaj), rue Belmont, à
Montpellier. Il y avait là les auteurs, l'éditeur, et même la télévision.
Il y eu beaucoup de monde, les seuls à n'être pas venus étaient les occitans... Nous n'en vîmes pas un ce jour-là, et Max fit semblant de ne pas le voir.
Quelques année plus tard, Isabelle Marsala et Jean-François Raynal, c'est -à dire le VRAC, rendaient un nouvel hommage à hommage à Max Rouquette dans une sculpture exposée quelques jours au pied
du château d'eau du Peyrou et intitulée : Bonjour Mr Max Rouquette. Cette sculpture n'attira pas plus l'attention des occitans que le livre.
En las carrièiras d'aur de Montpelhier,
ont lo tantòst vojava sa patz blonda,
avèm seguit d'un sòmi sens parièr
lo fiu dau temps de la nòstra jovença.
A son cèu fernissent, de tota mena,
s'assecutavan las sasons
e lo vent d'aut sus lo Peiron
cantava lo secret de las Cevenas.
...
Las Cevenas son blavas e lonhdanas,
la vila viu de nòstre espèr,
ara que pican las campanas
tornarem en silenci dau desèrt.